jeudi 31 octobre 2013

Mnémotourisme (23)



La semaine se déroule sous le signe de l'histoire du climat et on tombe sur cette évocation du terrible hiver 1708-1709, issue de : Emmanuel Le Roy Ladurie (Entretiens avec Anouchka Vasak), Abrégé d'histoire du climat du Moyen Âge à nos jours. Fayard, 2007, pp. 60-62.

"On a pu mesurer l'avance de la ligne O°, en particulier entre le 5 et le 7 janvier 1709. La vague d'air arctique des -20° s'avance avec une vitesse de 40km/h vers le sud. A minuit, le 7 janvier, elle atteint les Pyrénées, produisant un choc mortel sur les oliviers et citronniers perpignanais. La carte de Lachiver, s'agissant de 1709, décrit visuellement cette invasion d'air arctique depuis l'Islande jusqu'à la Méditerranée, vague glaciale qui se situe à l'est de l'anticyclone des Açores lui-même refoulé très à l'ouest de l'Espagne et au sud-ouest du Maroc. Cet hiver 1709, fort étale dans la durée, ne compte pas moins de sept vagues de grand froid (...). C'est la vague 4, la plus dure, qui crée une pointe de mortalité. Par ailleurs, elle tue les céréales, qui n'ont pas la couverture de neige protectrice : l'on survivra grâce à l'orge semée au printemps suivant, à la Columelle. Suivant C. Pfister, un anticyclone de type sibérien, avec flux d'air polaire, serait venu de l'est ou du nord-est, dont les effets se sont fait sentir jusqu'à Naples et Cadix : l'Ebre est prise par les glaces, en Espagne. Stockholm connaît encore une gelée en avril, même si par un effet de bascule, le Groenland est épargné. A Paris, on enregistre 19 jours à -10° ; les oliveraies méridionales sont anéanties, et seront remplacées par des vignes. Même si la catastrophe n'est pas équivalente à la famine de 1693, on note de ce fait une hausse de la mortalité ; le prix du froment augmente, passant de 9 livres le setier en juin 1708 à 25 livres en mars 1709, et à 45 en mai-juin 1709, soit un quintuplement pour le moins ! Tous les fleuves et les lacs sont pris, de Riga et Stockholm, à Naples et Cadix. L'Angleterre, plus océanique, est atteinte dans une moindre mesure ; mais Londres connaît une période de gel, depuis Noël jusques à fin mars. Tous les pays du Nord, ainsi que la France, l'Italie, l'Espagne, sont concernés ; les mers sont plus ou moins partiellement gelées sur les bords, la Baltique est couverte de glace encore le 8 avril 1709, ainsi que les rivières, la Meuse est prise à Namur. Les lacs de Constance et de Zürich peuvent être traversés en voiture. De nombreuses espèces d'insectes et d'oiseaux sont anéanties ; les arbres sont gelés jusqu'à l'aubier, comme en témoignent les tree-rings. Le sud de la France est peut-être plus froid encore que Paris ; la Provence perd ses orangers. On mange l'asphodèle, l'arum, le chiendent. Le pain d'avoine arrive jusqu'à la table de Madame de Maintenon... Le dégel, spectaculaire, entraîne de grosses inondations de débâcle en Loire, et fait éclater les arbres. Le bilan, certes moindre qu'en 1693-1694 (1300000 décès en plus !), s'élèvera pour la France à 600000 morts supplémentaires (froid de 1709, famine, sous-alimentation, donc épidémies collatérales)."

lundi 28 octobre 2013

Mnémotourisme (22)


Cette peinture, conservée à Rotterdam (Historisch Museum) et peinte en 1565 par Cornelis Jacobsz van Culemborch, montre le port de Delft visité par un iceberg le 2 janvier 1565. Le petit âge glaciaire battait alors son plein. On se prend à rêver à de telles montagnes de glace qui remonteraient les fleuves, à des troupeaux de rennes qui écraseraient les enfants à la sortie des écoles, à un froid tel que même les maladies n'y résisteraient pas, aux derniers feux de bois construits avec les dernières buches, à l’engourdissement des pieds de mémé et puis au silence.

samedi 26 octobre 2013

La danse des possédés (74)




Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! Que ma joie demeure ! 

"Là où les hommes s'accroupissent, chasseurs, hérons, chercheurs d'or et d'escargots, pharmaciens en binocles à monture d'acajou, cyclistes foireux et lumineux, dans le bois de tilleuls et d'ifs, ils chient sous les rameaux là où les hommes chient, dans le terreau et sur les taupinières, abrités, comme un demi-cul derrière un buisson apparaît le soleil, forme parfaite et juste poids sur terre."
Eugène Savitzkaya, Cochon farci (Les éditions de Minuit, 1996, p. 16).


lundi 21 octobre 2013

Retour (15)


Pour ceux qui ne seraient pas lassés par mes élucubrations brinquebalantes à propos de l'enregistrement de terrain, la version longue est désormais écoutable en ligne. L'émission de la RTS Musique en mémoire (Suisse) a en effet consacré cinq émissions d'une heure chacune au sujet et je discute avec Anne Gillot (merci Anne !) dans quatre d'entre elles. Chris Watson apparaît dans la quatrième et Eric La Casa est le MC de la cinquième. Pour écouter, il suffit de cliquer ci-après pour la première, la deuxième, la troisième, la quatrième et la cinquième émissions.

vendredi 18 octobre 2013

La danse des possédés (73)


On croit qu'on a toute la misère du monde sur les épaules alors que ce n'est qu'un rien ordonné en mots. Mais comme le suggère la vidéo qui suit, peut-être la réponse est-elle soufflée dans le vent...


samedi 12 octobre 2013

samedi 5 octobre 2013

Paradigme indiciaire (13)



Magnifique récit du spécialiste de la Grande Guerre Stéphane Audoin-Rouzeau, Quelle histoire. Un récit de filiation (1914-2014) (EHESS, Gallimard, Seuil, 2013). Pour preuve, un extrait de la conclusion ci-dessous. Pour comprendre l'extrait, Philippe, écrivain un temps accompagnateur du mouvement surréaliste, est le père de l'auteur. Stéphane Audoin-Rouzeau a notamment consacré ses recherches au sort des enfants pendant le conflit (voir L'enfant de l'ennemi, 2009).

"Trente années durant, la question de la violence de la guerre ne m'a pas quitté, mais ses traits se sont plusieurs fois transformés. Les enfants de la guerre m'ont longtemps accompagné, ils m'accompagnent encore. Philippe n'en était finalement pas si éloigné, bien qu'il fut né six ans après 1918. Lui-même était d'ailleurs un maître de l'enfance. De la sienne, tout d'abord : c'est pour la dire qu'à la fin des années 1970, il a commencé ces Mémoires dans lesquels j'ai tant puisé. De celle de ses propres enfants ensuite. Cette attention à leurs dessins, à leurs paroles, je l'ai apprise de mon père avant de la projeter ensuite sur les enfances des années de guerre.
Il y aussi les objets, dont la présence n'a cessé de grandir, et l'amour que je leur porte de s'affirmer. Le paradoxe est cruel si l'on songe à la haine de la guerre qui habitait Philippe : son éducation du regard m'a beaucoup servi lorsqu'il s'est agi de travailler sur les objets de la Grande Guerre - y compris les plus meurtriers d'entre eux - et de les regarder de très près, au titre de source comme une autre. Je n'ignore pas tout ce qui sépare une arme des îles Marquises d'une dague de tranchée, un bâton de commandement océanien d'une canne de marche sculptée par un soldat dans son abri. Mais je sais aussi les fils secrets qui les relient ; j'ai appris l'importance de refermer sur eux les doigts, tant d'années après que leurs premiers utilisateurs les aient tenus en main ; j'ai été également instruit sur l'importance de savoir si un objet avait, ou non, servi : "C'est vrai, notait Philippe, en servant, les objets prennent leur noblesse. Ils se chargent poétiquement. Plus ils s'usent, plus ils se patinent, plus ils me touchent. "C'est sérieux, la patine !" disait Breton dans un des derniers textes qu'il ait écrits." On m'a appris à voir. A voir le détail, surtout. Depuis, plus les choses sont petites, plus elles paraissent insignifiantes, et plus faire de l'histoire avec elles se charge de sens."

mercredi 2 octobre 2013

Paradigme indiciaire (12)


On a fort apprécié un excellent reportage écrit par Baptiste Morizot et intitulé Sur la piste du loup (paru dans le Philosophie Magazine du mois de septembre et lisible ici). Dans ce texte, le philosophe raconte comment il est parti dans les Cévennes en quête des traces de l'animal en compagnie d'Antoine Nochy, spécialiste du retour du loup en France. Il y est question, entre autres, de "chasse au réel", de "pièges à traces" ou encore d'"hétérophénoménologie". Concernant les problèmes bien connus occasionnés par la coexistence du loup et de l'homme au sein d'un même territoire, l'auteur élabore le personnage conceptuel du "diplomate-garou" censé favoriser une réelle cohabitation, voie médiane entre les partisans de la décimation (les éleveurs) et ceux de la sanctuarisation (les écologistes). 
Ci-dessous, deux extraits de l'article, à lire dans l'idéal en entier.
(et pour les chaussures ci-dessus : oui, hélas...) 

"Penser comme un loup
Aldo Leopold, dans son Almanach d’un comté des sables (1949), ouvrage pionnier de l’éthique de la terre, a formulé cette présence invisible : « Seul l’indécrottable peut ignorer la présence des loups, ou le fait que les montagnes ont une opinion personnelle à leur égard. » Vivant l’époque de l’extermination du loup dans l’Ouest américain, il avait saisi dans sa complexité écologique les effets de sa disparition : « Je soupçonne à présent que, de même qu’une harde de cerfs vit dans une peur mortelle du loup, la montagne vit dans une peur mortelle du cerf. Et avec plus de raison, parce qu’un cerf mâle pris par les loups sera remplacé en trois ans, mais un mont dénudé par les cerfs ne sera pas remplacé avant des décennies. De même avec les vaches. Le vacher qui débarrasse son pacage des loups ne se rend pas compte qu’il prend sur lui le travail du loup qui consiste à équilibrer le troupeau en fonction de cette montagne particulière. Il n’a pas appris à penser comme une montagne. » C’est avec ces phrases en tête que nous parcourons les crêtes, à la recherche de ce décentrement intérieur : une révolution copernicienne, depuis un référentiel anthropocentré, jusqu’à une expérience écocentrée.
Nous nous arrêtons pour déjeuner au creux d’un col. À l’horizon s’accumulent des nuages d’orage. Nous avons croisé des traces de canidés ; mais ce qu’on peut extrapoler de leur trajectoire, de leur forme, de leur situation, n’est pas concluant. Alors qu’on dévore une pintade en se léchant les doigts, Antoine explique : « La meilleure définition du tracking, c’est ce que dit Husserl sur le cube. Personne n’a jamais vu un cube en entier en un regard : tu vois ses faces visibles, mais tu projettes les faces cachées. Le problème est de faire exister ce que tu ne vois pas. Tu n’arrives à faire exister ce loup que par ta connaissance de son espèce et ton imagination de comment le vivant se débrouille sur un terrain particulier. Tu dois essayer, de la manière la plus objectivable possible, de faire exister les faces cachées des choses. C’est décisif pour le loup : c’est un animal élusif et ubiquitaire. » Une grêle nous cueille dans les sous-bois, sans prévenir.
La nuit descend avec nous des montagnes : nous rentrons bredouilles à l’oustaou, la maison fortifiée, rêvant des silhouettes de loup derrière chaque buisson, chaque pensée. Prouver l’existence du loup semble ce soir aussi ardu que prouver l’existence de Dieu. Mais le loup laisse quelques empreintes."

"Nous arpentons la piste, cherchant les pièges naturels pour les traces que sont les zones argileuses – au bout du regard, les crêtes sont splendides, mais nous n’avons d’yeux que pour les flaques de boue. Oui, nous chassons, mais pas le loup. Plutôt une Idée du loup, son essence mobile et bigarrée : ses manières d’aller, de vouloir, de faire territoire. Doug Smith, mentor d’Antoine et responsable de la réintroduction du loup à Yellowstone, la décrit en trois mots, que chaque être décline à sa façon : « social, travel and kill » (« socialiser, voyager et tuer »).
Mais cette chasse à l’Idée laisse sa proie intacte. Ici, l’intuition de Nietzsche concernant l’origine de la quête de connaissance devient manifeste. Elle ne constitue pas une recherche abstraite et désintéressée de savoir. Dans une perspective généalogique, la pensée apparaît bien plutôt comme une continuation de la prédation : pister et traquer les phénomènes. Mais c’est une continuation sublimée, c’est-à-dire séparée de sa violence et de sa létalité initiales, ce qui inverse son rapport à la proie. C’est une « chasse au réel » qui ne tue pas, mais exalte la proie, la rehausse d’être connue de manière plus complexe, plus subtile – plus vivante."